Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/246

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Je vous laisse à juger, Seigneur, quelle fut la joye d’Artamene : Feraulas l’accompagna à ce petit voyage aussi bien qu’Arbace, & fut le tesmoin de tout ce qui s’y passa, comme du transport de mon Maistre. Helas (disoit-il en luy mesme, en lisant la fin de la Lettre du Roy) que cette priere est inutile ! & qu’il seroit difficile à un Amant de Mandane, de n’estre pas Amy de Ciaxare ! Ouy, ouy, poursuivoit-il, je suis Amy du Roy de Capadoce ; & mesme du Roy des Medes ; & Amy jusques à tel point, que j’en suis ennemy de Cyrus. Qu’il demeure donc dans le Tombeau, ce malheureux Cyrus, qui est l’objet de la crainte, & de la haine de ces Princes : & pourveu qu’Artamene puisse conserver sa bonne fortune ; puisse t’il demeurer dans l’obscurité du Sepulchre, & n’en ressortir jamais. O Artamene ! heureux Artamene, adjoustoit-il, tu vas revoir ta Princesse ; tu luy vas parler ; tu vas en estre loüé ; tu vas en estre connu ; & peut-estre, disoit-il, peut-estre que ta bonne fortune fera, que tu n’en seras pas haï. Mais helas, poursuivoit-il, ce ne seroit pas encore assez ! & pour estre entierement heureux, il faudroit pouvoir esperer d’en estre aimé. Tant y a Seigneur, que tout ce que l’amour peut inspirer de tendre & de delicat, dans un esprit passionné, se trouva dans celuy d’Artamene en cette rencontre. Tantost il s’abandonnoit absolument à la joye : & tantost cette joye estoit moderée par la crainte : car qui sçait, disoit-il, si malgré ce que le Roy dit à la Princesse, je n’attireray point son aversion ? il est des sentimens secrets qui nous portent à aimer ou à haïr, dont l’on ne peut dire de raison, & ausquels l’on ne sçauroit resister : ainsi quand il seroit vray que je ne serois pas le plus haïssable des hommes ; & que j’