Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/289

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fournir les moyens de ne me trouver pas en une ſemblable rencontre. Je penſe donc qu’il ſuffira de dire, à toute perſonne raiſonnable & deſinteressée ; que je me ſuis trouvé au Champ de Bataille, pour prouver que j’ay combatu : & que puis que j’ay combatu, j’ay gagné la victoire : eſtant hors de doute qu’elle appartient à celuy qui demeure les armes à la main, & en eſtat d’oſter la vie à ſon ennemi. Or, Seigneurs, aucun n’ignore qu’Artamene n’ait eſté plus malheureux que moy : & les Rois qui m’eſcoutent ; sçavent bien qu’ils ne voulurent pas qu’il combatiſt en l’eſtat qu’il eſtoit : c’eſt à dire tout couvert de ſang & bleſſures : & ſi foible, que l’on peut aſſurer, que ſon courage ſoutenoit pluſtost ſon eſpée que ſon bras. Je sçay bien que cette grande inegalite qui parut entre nous, a quelque choſe d’extraordinaire : & qu’il y a lieu de s’eſtonner, de voir que de quatre cens qui ont combatu, il n’en ſoit demeuré que deux vivans : dont l’un ait eſté veû bleſſé en tant de lieux ; & l’autre auſſi ſain, que s’il n’euſt pas ſeulement veû les Ennemis. Mais outre, comme je l’ay deſja dit, que les Dieux ſont des miracles quand il leur plaiſt ; depuis quand eſt-ce, que les bleſſures ſont des marques infaillibles de la Victoire ? Et ſi cela eſt, pourquoy nos Maiſtres nous apprennent-ils avec tant de ſoin, à eſviter les coups qu’on nous porte ? il faut ſi la choſe eſt ainſi, ne porter plus de Boucliers ; aller à la guerre ſans armes deffenſives ; & n’attaquer meſme nos Ennemis, que pour les obliger à nous couvrir de playes & de ſang.