Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/305

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s’imagina, que moins ſon ennemy en auroit, moins il ſeroit expoſé. Ils n’avoient donc chacun, que l’Eſpée & le Bouclier : aux deux bouts du Champ, il y avoit deux Eſchaffaux dreſſez pour les Rois ennemis : & à un des coſtez, il y en avoit un autre, où eſtoient les Juges. Les quatre mille hommes de guerre, eſtoient placez, partie derriere les Eſchaffaux des Rois, & partie à l’autre face du Champ de Bataille, ſans ſe meſler toutefois les uns parmy les autres, chacun demeurant ſous ſes Enſeignes : mais ſi bien rangez, que preſque tout le monde pouvoit voir. Aux deux bouts des Lices il y avoit deux entrées : & ce fut par ces deux endroits oppoſez, qu’Artamene & Artane entrerent en meſme temps : & commencerent de faire prevoir l’evenement du combat, par leur differente contenance. Artane avoit voulu ſe battre à cheval : ſe confiant plus en la vigueur & en l’adreſſe de celuy qu’il devoit monter, qu’en ſa force & en ſon courage. Mais il ne sçavoit pas, que plus un Cheval eſt vigoureux, moins il rend de ſervice à celuy qui perdant le jugement par la crainte, ne le sçait plus conduire comme il faut, ny luy faire les chaſtimens à propos. Artane parut donc avec des armes tres magnifiques : & ſur un cheval blanc, ſi beau, ſi bien fait, ſi noble, & ſi plein de fierté ; que d’abord il attira les yeux de tout le monde. Il avoit l’action vive & ſuperbe : & frapant du pied, ſeçoüant ſon crin, blanchiſſant ſon mors d’eſcume, & haniſſant avec violence en entrant dans la Carriere ; il ſembloit avoir impatience de porter ſon Maiſtre vers ſon ennemy. Mais Seigneur, ſi le cheval d’Artane attira l’admiration de tout le monde ; la mauvaiſe poſture de celuy qui le montoit, donna de l’averſion & de la pitié. Le moindre mouvement