Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/377

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En toutes les Parties de galanterie qui se faisoient, ils estoient tousjours opposez : & dans toutes les conversations, leurs opinions estoient tousjours differentes. Bien est-il vray qu’Artamene avoit cét advantage, qu’il s’opposoit à Philidaspe, sans qu’il parust nulle bizarrerie en son esprit ; ce qui n’arrivoit pas tousjours à son Rival : car encore qu’il soit effectivement fort honneste homme, comme il est plus violent, & d’un temperament plus actif ; il y avoit des jours où son entretien n’estoit pas fort agreable, parce qu’il estoit trop contredisant.

En effet, il parut bien un soir qu’ils estoient chez la Princesse, qu’il n’estoit pas toujours Maistre de ses sentimens : & qu’ils l’emportoient quelque fois plus loing qu’il ne vouloit. Il y avoit alors peu de monde aupres d’elle : & ces deux Amans secrets y estoient presque seuls capables de l’entretenir & de la divertir. Apres plusieurs discours sur des choses indifferentes, la Princesse qui vouloit les mettre bien ensemble, s’il estoit possible, afin de les attacher plus fortement, au service du Roy son Pere ; venant à parler de ce qui ordinairement fait naistre l’amitié ; je me suis cent fois estonnée, dit-elle à Artamene & à Philidaspe, de ne remarquer pas en vous, une plus grande liaison que celle que j’y voy : me semblant que vous devriez vous aimer plus que vous ne faites, quoy que je sçache bien, que vous vous estimez beaucoup. Mais j’entens, adjousta-t’elle, de cette amitié de confiance & de tendresse, qui fait que l’on dit toutes choses à la personne que l’on aime : & que l’on partage toutes ses douleurs & tous ses plaisirs. Car enfin, poursuivit-elle, vous estes tous deux Estrangers ; vous avez tous deux de l’esprit, du cœur, & de la generosité ; vous servez le mesme