Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/376

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pas d’estre veüe chez elle, encore qu’il ne la vist pas ? & d’y souffrir les gens de condition en presence de sa Dame d’honneur, de sa Gouvernante, & de ses Filles, qui ne l’abandonnoient jamais. Ainsi l’on peut dire, qu’Artamene sembloit estre heureux, quoy qu’en effet il ne le fust pas. Car enfin il avoit eu le bonheur dans sa passion, d’aquerir une gloire infiniment grande ; d’avoir servy Ciaxare tres importemment ; & d’avoir sensiblement obligé sa Princesse, en sauvant la vie du Roy son Pere, & en luy faisant vaincre ses Ennemis ; de sorte qu’il pouvoit presque estre assuré de son estime. Mais apres tout, quand il venoit à considerer cette austere vertu dont elle faisoit profession ; il n’osoit esperer qu’elle peust jamais souffrir, ny qu’Artamene, ny que mesme Cyrus, eussent la temerité de luy parler d’amour. De plus, la passion du Roy de Pont, luy donnoit encore de la jalousie : & la presence de Philidaspe de l’inquietude, quoy qu’il n’en sçeust pas bien la raison. Cependant Artamene & luy, ne perdoient aucune occasion de voir la Princesse : ils la suivoient au Temple ; ils l’accompagnoient aux Chasses & aux promenades ; ils la visitoient aux heures où il estoit permis de la voir ; & n’oublioient rien de tout ce que deux hommes également passionnez peuvent faire. Mais ce qui abusoit tousjours un peu mon Maistre touchant Philidaspe, c’estoit qu’outre les soings qu’il avoit pour la Princesse, on luy en voyoit aussi beaucoup pour Ciaxare & pour Aribée : & il paroissoit tant d’empressement en toutes ses actions ; que mon Maistre y soubçonnoit autant d’ambition que d’amour : quoy qu’il y eust tousjours des momens, où il le croyoit capable de l’une & de l’autre.