Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/381

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n’ayez pas la tyrannie (si le respect que je vous dois, me permet de parler ainsi) de vouloir que Philidaspe aime Artamene par contraient : n’y qu’Artamene aime Philidaspe malgré luy. S’ils ont à s’aimer quelque jour, laissez leur en la liberté toute entiere, & ne leur ostez pas le merite de cette affection : & s’ils ont à se haïr eternellement, reprit Philidaspe, laissez les dans la liberté de le pouvoir faire, sans vous offenser injustement. Cela n’est pas possible, reprit elle ; & je vous estime trop tous deux. Quoy Madame (luy dit Artamene en changeant de couleur) je ne pourrois pas haïr Philidaspe, sans irriter la Princesse Mandane ? Non, dit-elle ; ny Philidaspe aussi ne pourroit pas haïr Artamene, sans m’offenser extrémement, apres la priere que je luy ay faite. Nous sommes tous deux bien heureux & bien malheureux, reprit Philidaspe ; & vous serez tous deux bien raisonnables, adjousta la Princesse, si vous voulez vous aimer pour l’amour de moy. Cela n’est pas possible, repartit Philidaspe ; en effet, Madame, respondit Artamene, je pense qu’il nous seroit plus aisé de nous haïr pour l’amour de vous, que de nous aimer pour l’amour de vous. Car enfin, dit-il, aimant tous deux la gloire comme nous faisons ; & cherchant avec soing les occasions de nous signaler, & d’aquerir l’estime & l’amitié du Roy ; si vous panchiez plus vers Philidaspe que vers Artamene, je pense qu’Artamene n’osant se pleindre de vous, en haïroit un peu Philidaspe : & je pense mesme, repliqua ce Prince violent, que quoy qu’il en arrive, Philidaspe se contentera d’estimer Artamene sans l’aimer.

La Princesse fut alors bien faschée, d’avoir entrepris une chose qu’elle trouvoit beaucoup plus difficile qu’elle n’avoit