Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/384

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luy repassant sans doute en leur memoire, tout ce qui venoit de leur arriver. Qui vit jamais, disoit Artamene en luy mesme, une plus bizarre avanture que la mienne ? Mandane veut que j’aime par force Philidaspe, qui ne m’aime point ; qui s’oppose à tous mes desseins ; qui contredit tous mes discours ; que je trouve continuellement aupres d’elle ; qui me regard eternellement avec envie ; & qui peut-estre est mon Rival. Cette derniere reflexion s’imprimant alors fortement en son ame, fit paroistre sur son visage, un chagrin que je remarquay facilement, car je ne marchois pas fort loing de luy : & pour moy je juge que son ennemy pensa à peu prés les mesmes choses : puis que je vy en un instant Philidaspe, aussi bien que mon Maistre, changer de couleur : & de resveurs qu’ils avoient paru tous deux, ils parurent chagrins & en colere. Apres avoir donc esté quelque temps sans parler ; & marchant assez lentement, ils demeurerent derriere, un peu separez des autres ; parce que ne songeant pas au Roy, en un temps où leur passion les occupoit si fort, ils ne s’aperçeurent qu’ils alloient trop doucement pour le suivre, qu’apres avoir fait vingt ou trente pas de cette sorte. Mais tout d’un coup Artamene revenant un peu de sa resverie, vit que le Roy estoit deja assez esloigné : si bien que se souvenant de ce que Philidaspe luy avoit dit chez la Princesse. Vous avez raison, luy dit-il, de dire que nous nous rencontrons par tout : puis que mesme nous nous trouvons seuls, au milieu de tant de monde, sans en avoir aucun dessein. Il ne m’importe pas beaucoup, reprit brusquement Philidaspe, de me rencontrer aupres de vous à une promenade : mais je vous advouë que je