Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/404

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

des malheurs de telle nature, qu’ils ne font pitié à personne : & qui bien loing d’exciter la compassion, font que l’on accuse de foiblesse, & mesme de folie, les malheureux qui les souffrent. Si bien que pour esviter ce surcroist d’infortune & de douleur, il faut étouffer ses souspirs ; il faut cacher ses larmes ; ou ne dire du moins jamais la cause de son affliction. Artamene entendant parler Aglatidas de cette sorte, s’imagina alors facilement, que cette tristesse qui paroissoit tousjours dans son esprit comme sur son visage, & dont il n’avoit jamais sçeu le sujet, estoit sans doute causée par l’amour : & comme il est certain que la curiosité d’aprendre les malheurs de ceux qui ont quelque conformité avec nous, est inseparable de tous les infortunez : Artamene qui en l’estat où estoit son ame, n’en eust pointeu pour toutes les affaires de la Terre, quand on eust deû la bouleverser ; en eut en cette rencontre, pour ce qui pouvoit avoir quelque raport avec sa passion. Si bien que regardant Aglatidas en soupirant, seroit-il possible, luy dit-il, que cette melancolie que j’avois creû estre un simple effet de vostre temperamment, eust quelque cause secrette, dont je n’eusse point entendu parler ? Ouy Seigneur, repliqua Aglatidas, elle en a une : mais elle est de telle nature, que je la dois cacher soigneusement, à tous ceux qui comme vous n’ont peut-estre jamais eu l’ame sensible, qu’à l’ambition & qu’à la gloire : & qui n’ayant jamais esprouvé la puissance de l’amour, appelleroient foiblesse & folie, comme je l’ay dit, tout ce que cette passion auroit fait faire aux autres. Ne craignez pas (luy respondit Artamene en soupirant une seconde fois) que ma vertu soit aussi severe que vous la croyez : car bien