Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/416

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

coup, le plus terrible, & le plus espouventable, qu’il se soit jamais monstrré à personne. Je le vy tout armé de fleches & de traits ; je luy vy plus d’un flambeau à la main ; & je connus enfin parfaitement, que c’estoit le plus redoutable des Dieux. A peine eus-je veû que tout le monde commençoit de s’en aller, que je changeay de couleur : je perdis la parole tout d’un coup : je devins serieux & triste : & regardant Amestris sans luy rien dire, je luy dis sans doute beaucoup de choses, si elle eust voulu les entendre.

Mais enfin il falut partir, & je partis : ce fut toutefois avec tant de peine, & avec tant d’amour ; que je ne pense pas que jamais nulle passion, ait aproché de la mienne. Mon Pere me demanda le soir, quelle cause m’avoit fait revenir si tost ? Mais comme je voulois luy respondre, un Escuyer d’Artambare, vint luy faire un compliment de sa part, sur ce qu’il avoit pris sa Maison : & le remercier de la civilité que j’avois euë pour luy. Et certes il fut à propos pour moy, que la chose allast ainsi : car j’avois l’esprit si inquiet, & si preoccupé, que je n’aurois pas trop bien respondu, à ce que mon Pere me demandoit. Je me retiray donc à ma chambre, bien different de ce que j’estois, lors que j’en estois sorti : l’image d’Amestris me suivoit par tout : & je ne pouvois me lasser d’admirer sa beauté, son esprit, & son jugement. Je la comparois dans mon imagination, avec tout ce que la Cour avoit d’aimable en ce temps-là ; & je ne trouvois rien qui ne luy cedast en toutes choses : je m’estonnois de voir qu’une personne nourrie dans une Province, & dans une Province assez esloignée, n’eust rien qui la peust faire distinguer, d’avec les personnes de la Cour les mieux faites : ny en son action ;