Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/42

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s’eslancer à chaque moment, parce que le vent les y poussoit avec violence. Il paroissoit que l’embrazement devoit avoir commencé par le Port ; puis que toutes les maisons qui le bordoient, estoient les plus allumées, & les plus proches de leur entiere ruine, si toutefois il estoit permis de mettre quelque difference, en un lieu où l’on voyoit esclater par tout, le feu & la flame. Parmy ces feux & parmy ces flames, l’on voyoit pourtant encore quelques Temples & quelques maisons, qui faisoient un peu plus de resistance que les autres ; & qui laissoient encore assez voir de la beauté de leur structure, pour donner de la compassion, de leur inevitable ruine. Enfin ce terrible Element détruisoit toutes choses ; ou faisoit voir ce qu’il n’avoit pas encore détruit, si proche de l’estre ; qu’il estoit difficile de n’estre pas saisi d’horreur & de pitié, par une veuë si extraordinaire & si funeste.

Ce fut par cét espouvantable objet, que l’amoureux Artamene (apres estre sorty d’un valon, tournoyant & couvert de bois, à la teste de quatre mille hommes) fut estranggement surpris. Aussi en parut-il si estonné, qu’il s’arresta tout d’un coup : & sans sçavoir si ce qu’il voyoit estoit veritable ; & sans pouvoir mesme exprimer son estonnement, par ses paroles ; il regarda cette Ville ; il regarda le Port ; il jetta les yeux sur cette Mer, qui paroissoit toute embrazée, par la reflexion qu’elle recevoit des Nuës, que ce feu avoit toutes illuminées ; il regarda la Plaine & les Montagnes ; il tourna ses yeux vers le Ciel ; & sans pouvoir ny parler, ny marcher, il sembloit demander à toutes ces choses, si ce qu’il voyoit estoit effectif, ou si ce n’estoit point une illusion. Hidaspe, Chrisante, Aglatidas, Araspe, & Feraulas, qui estoient