Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/432

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nous y fusmes, nous fismes deux tours entiers sans parler : Arbate n’osant peut-estre me dire ce qu’il pensoit d’Amestris : & moy n’osant aussi luy demander, quel jugement il en faisoit. Mais admirez, Seigneur, la bizarrerie de l’amour ! je vous proteste que je craignois alors esgalement, qu’Arbate loüast trop Amestris, ou ne la loüast pas assez. Je craignois qu’il ne desaprouvast mon choix ; ou qu’il ne choisist luy mesme ce que j’avois choisi. Et dans cette inquietude, ayant esté, comme je l’ay desja dit, deux fois tout le long de la Terrasse, sans parler ny l’un ny l’autre ; enfin rompant un silence si plein de trouble ; & bien Arbate, luy dis-je, avec un sous-ris un peu forcé ; vous estes vous bien deffendu ? & la belle Amestris ne m’a-t’elle point fait un Rival, du plus cher Amy que j’aye ? Vous estes si soubçonneux, me respondit Arbate, que pour vous desacoustumer d’une si mauvaise habitude, je veux ne satisfaire pas vostre curiosité : & vous dire seulement, qu’Amestris est sans doute digne de l’admiration de toute la Terre. Mais si vous l’admirez, luy dis-je, vous l’aimez : ce n’est pas une necessité absoluë, me respondit-il, ny une consequence necessaire. Toutefois je ne veux point vous esclaircir davantage là dessus : car je veux guerir vostre esprit : l’acoustumer insensiblement, à ne se former pas des Monstrres pour les combatre. Ha mon cher Arbate ! luy dis-je en l’interrompant, ne me laissez point dans cette incertitude : & dites moy de grace quels sont vos veritables sentimens pour Amestris. Que voulez-vous que je vous die ? me respondit-il, si je la louë, vous direz que j’en suis amoureux : & si je la blasme, vous croirez que je vous veux tromper, ou que j’