Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/438

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de laquelle il n’est pas aisé de toucher le cœur. La difficulté, respondit Megabise, est ce qui fait vivre l’Amour : Ouy, repliqua Arbate ; mais l’impossibilité le doit faire mourir. Il est vray, respondit Megabise : mais où voyez vous qu’il soit impossible à un homme de ma condition, d’espouser la fille d’Artambare ? Je ne tiens pas, repliqua Arbate, absolument impossible à Megabise d’espouser Amestris : mais je ne pense pas qu’il luy soit aussi aisé d’en estre aimé. Car j’ay sçeu par Aglatidas, poursuivit-il, qui s’en est assez bien informé, qu’Amestris malgré toute cette modestie qui paroist en elle, aime si passionnement sa beauté, qu’elle en est absolument incapable de rien aimer autre chose, Or mon Frere, croyez vous que ce soit estre fort heureux, que d’espouser une Femme, qui preferera tousjours son Miroir à son Mary ? & qui n’a l’ame sensible, que pour ses propres attraits. De plus, ne songez vous point (poursuivit-il, en prenant un visage encore plus serieux) qu’Amestris est fille d’Artambare ? c’est à dire d’un homme exilé depuis dix-huit ans : & qui n’a fait sa paix, parce que Ciaxare qui le haït tousjours, à cause de la Reine de Perse sa Sœur, n’est pas maintenant icy. Et ne songez vous point, qu’Astiage estant extrémement vieux, Artambare est exposé à sortir d’Ecbatane, le jour mesme que Ciaxare quittera la Capadoce, & viendra prendre la Couronne de Medie ? Imaginez vous Megabise, quel plaisir vous auriez alors, en ce changement de Regne, de vous aller confiner dans la Province des Arisantins, avec une personne insensible, qui auroit destruit vostre fortune au lieu de l’establir : & qui n’estant peut-estre desja plus belle (