Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/449

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bien avec elle : & qu’alors il la luy cederoit à son tour : & qu’ainsi rien ne s’opposeroit plus à sa joye. De sorte donc, nous disoit-il separément, qu’il n’y a plus rien à faire, sinon que je voye Amestris avec assiduité : que je tasche de gagner son estime ; & de l’obliger à quelque civilité particuliere. Mais, luy dis-je, mon cher Arbate, si elle venoit à vous aimer tout de bon durant cette feinte, que ferions nous ? Je ne crains pas cela (me respondit-il ; & sans doute ce n’estoit pas ce qu’il craignoit) car mes propres deffauts ne m’asseurent que trop du contraire. Et puis, adjoustoit-il, je vous promets que tant que je seray seul aupres d’elle, je ne luy parleray que de vous ; & de cette façon, il n’y a rien à harzarder. En un mot, Seigneur, Arbate sçeut si bien conduire l’esprit de Megabise & le mien, que nous consentismes qu’il vist Amestris, & qu’il en fust presque inseparable.

Je vous laisse à juger si jamais il y a eu une pareille avanture : & si jamais il y eut un fourbe plus heureux qu’Arbate le fut durant quelques jours. Car comme je croyois que Megabise se retireroit, dés qu’il connoistroit qu’Arbate seroit mieux traité que luy ; je faisois des vœux pour cela : & Megabise de son costé, ayant les mesmes sentimens, faisoit aussi les mesmes souhaits. Si bien que de cette façon, nous servions tous deux nostre plus grand ennemy, & nostre plus redoutable Rival : & durant qu’il travailloit à nostre ruine, nous luy rendions grace, comme s’il eust estably nostre felicité. Le voila donc tous les jours chez Amestris, qui le reçevoit tres-civilement : il sembloit mesme qu’elle tesmoignoit luy avoir plus d’obligation de ses visites, qu’à tout le reste du monde : à cause que ce n’estoit qu’à sa consideration, qu’il avoit