quitté sa solitude, & qu’il avoit changé de vie. Il parloit avec Amestris autant qu’il vouloit, & avec beaucoup plus de liberté que pas un de nous : car comme nous estions persuadez l’un & l’autre, que lors qu’il luy parloit seul, il luy parloit à nostre advantage ; nous luy en facilitions les moyens : & luy fournissions nous mesmes des Armes pour nous destruire. Car au lieu d’employer ces precieux moments où il estoit seul aupres d’elle, à l’entretenir de Megabise ou de moy ; il s’en servoit à tascher de se mettre bien dans l’esprit d’Amestris. Mais pendant les premiers jours, ce fut d’une façon si adroite & si respectueuse, qu’elle ne s’en pût pas fascher : & si elle soubçonna qu’il eust de l’amour ; elle creut aussi qu’il ne luy en donneroit jamais de tesmoignages qui luy pussent desplaire. Elle vescut donc avec luy, avec beaucoup de retenuë ; mais pourtant, comme je l’ay dit, avec beaucoup de civilité : parce qu’en effet il en estoit digne, & par sa condition, & par son esprit. Megabise luy demandoit tous les jours, si je ne commençois point de changer de sentimens ? & je luy demandois aussi fort souvent, si son Frere n’auroit pas bien tost pitié de sa pretenduë passion ? A cela il respondoit à l’un, qu’il commençoit d’en avoir quelque esperance : à l’autre, qu’il ne sçavoit encore qu’en esperer : à l’un, que la chose estoit possible, mais difficile : à l’autre, que malgré la difficulté, il en viendroit pourtant à bout : & à tous les deux, qu’il ne faloit rien precipiter, si l’on vouloit qu’il peust agir utilement : & qu’il faloit luy donner tout loisir de prendre son temps, pour pouvoir faire reüssir la chose. Bref, Seigneur, ce fourbe conduisoit si bien son entreprise, que nous le servions l’un &
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