Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/46

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dans un mesme sentiment : tantost il faisoit des vœux pour sa Maistresse : tantost des imprecations contre son Rival. Un moment apres, regardant cette Galere, & luy semblant y remarquer des femmes sur la poupe, il s’en resjoüissoit beaucoup : puis venant à songer que quand ce seroit sa Maistresse, elle seroit tousjours perduë pour luy ; il rentroit dans son desespoir. Apres venant à considerer cette Tour, que la Mer & les flames environnoient de toutes parts ; & venant à penser, que peut-estre sa Princesse estoit enfermée en ce lieu-là, il changeoit de sentimens tout d’un coup ; & ces mesmes Troupes, qui estoient venuës pour détruire cette Ville, eurent commandement d’aider à en esteindre le feu. Artamene donc ne pouvant se resoudre de retourner sur ses pas, envoya Feraulas commander aux siens, de marcher en diligence, & de le suivre. Mais en approchant de Sinope, l’on sentoit un air si chaud & si embrazé ; & l’on entendoit un bruit si espouvantable, que tout autre qu’Artamene n’auroit jamais entrepris d’y aller. Le mugissement de la Mer ; le murmure du Vent ; le petillement de la flame, joint au bruit affreux, de la chutte des maisons entieres qui crouloient de fonds en comble ; & à toutes les plaintes, & à tous les cris que jettoient les mourants ; ou ceux que la peur d’une mort prochaine faisoit crier, causoient une confusion espouventable. De tous ces mugissemens, dis-je ; de tous ces murmures ; de tous ces cris ; de toutes ces chuttes de maisons, & de toutes ces plaintes, il se formoit un bruit si lugubre & si esclatant, que tous les Echos des Montagnes y respondans encore, en formoient une harmonie tres-funeste, s’il est permis d’appeller harmonie, un retentissement si rempli de confusion.