Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/469

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t’il s’imaginer qu’Arbate soit devenu son ennemy ? Ha non non, adjoustay-je, je ne le sçaurois penser : mais quand cela seroit je ne serois pourtant jamais le sien : car je ne suis capable de haine, que pour les Amans d’Amestris. C’est aussi en cette qualité (me respondit le furieux Arbate, en descendant de cheval, & en s’avancant vers moy) que je ne puis souffrir vostre bonheur : & que je vous le veux disputer, jusques à la derniere goutte de mon sang. Vous estes Amant d’Amestris ? (s’ecria Megabise aussi bien que moy) Ouy, nous repliqua-t’il, je le suis : & de telle sorte, que nul ne la possedera jamais, tant que je seray vivant. Je vous laisse à juger Seigneur, de l’étonnement de Megabise & du mien : Mais admirez un peu le bizarre effet du discours d’Arbate ! un moment auparavant, j’aimois cét infidelle Amy, & haïssois Megabise : mais à peine eus-je entendu ce qu’il avoit dit, que l’amitié que j’avois pour luy cessa : & que la haine que j’avois pour l’autre, en fut comme suspenduë : cette nouvelle jalousie s’emparant de mon esprit, plus fortement que la premiere. Megabise de son costé, me regardant, comme estant également trompé aveque luy par Arbate, sembla aussi diminuer de l’aversion qu’il avoit pour moy, pour le haïr davantage : & Arbate dans sa violente passion, & dans son desespoir ; ne faisoit à mon advis nulle distinction, entre son Amy & son Frere. Quoy qu’il en soit, je pense qu’il estoit le plus malheureux : estant à croire, que l’image de son crime & de sa double trahison, s’offroit continuellement à son esprit, & le tourmentoit sans relasche. Cependant comme il n’estoit pas aisé a Arbate de se battre contre moy ; & parce qu’en effet j’y resistois ; & parce que Megabise ne