Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/490

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branches des Arbres, de l’autre costé du Parterre, une personne qui me sembla estre Amestris, suivie de trois autres Femmes : je la regarday avec attention ; je l’observay avec soing ; & me confirmay absolument dans ma creance. Je vy alors qu’elle prit le chemin de la Fontaine : & qu’apres avoir regardé de tous les costez, comme pour voir si elle ne seroit point interrompuë en sa solitude ; elle se mit au bord de cette belle Source : precisément au mesme endroit où j’avois esté à genoux aupres d’elle, lors que je luy avoit dit adieu. Elle s’appuya la teste de la main gauche, à demy couchée sur la mousse verte qui bordoit la Fontaine : & laissant aller négligeamment son bras droit le long de sa robe, elle sembloit regarder dans l’eau, comme une personne qui resve profondément : au moins à ce que j’en pouvois juger par son action : car elle n’avoit pas le visage de mon costé. Mais, ô Dieux, quel effet fit cette veüe dans mon ame ! mon cœur en fut esmû ; mon esprit en fut troublé ; & je ne fus pas maistre de ma raison. Je voulois avancer vers Amestris sans le pouvoir faire : & je ne sçay quel bizarre sentiment que je ne puis exprimer, fit que je voulus joüir quelques moments sans estre veû, de ce bonheur que le hazard m’avoit envoyé, tant au delà de mon esperance. Enfin, Seigneur, la joye s’empara si absolument de mon ame, que je n’en avois jamais guere senty davantage. Car non seulement je voyois Amestris en lieu où j’esperois luy parler bientost ; mais je la voyois en un endroit, qui me faisoit croire qu’elle pensoit à moy : & qu’elle n’y estoit venuë, que pour se mieux souvenir de nostre derniere conversation. Ha trop heureux Aglatidas ! me dis-je à moy mesme,