Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/491

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à quoy t’amuses-tu, & que ne vas tu rendre grace à ta fidelle Amestris ? A ces mots, pliant avec violence les branches qui s’opposoient à mon passage, je voulus sortir du Bois, pour m’aller jetter à ses pieds ; & interrompre le souvenir qu’elle avoit d’Aglatidas, par Aglatidas luy mesme. Mais comme j’estois presque entierement hors de ce Bois, & que je n’avois plus qu’un pas à faire, pour estre dans le Parterre ; je vy paroiste un personne de l’autre costé, qui me sembla avoir l’air d’un homme de condition. Je me retiray donc alors, avec autant de precipitation que je m’estois avancé : & comme l’Amour est ingenieux, à persecuter ceux qui le reconnoissent pour Maistre : je passay de la joye à l’inquietude en un moment. Lequel est ce de mes Rivaux, disois-je, qui va peut-estre interrompre les pensées que la divine Amestris, a de son cher Aglatidas ? ha s’il est vray, poursuivois-je, que je sois dans son cœur, que je porte peu d’envie à celuy qui va se mettre à ses pieds, pour l’entretenir de sa passion ! Mais qui sçait, reprenois-je tout d’un coup, si Amestris n’attend point cét heureux Rival en cét endroit ; & si elle ne prophane point par son infidelité, des lieux que je pensois estre consacrez par des tesmoignages de son affection ? Sans doute (disois-je encore tout transporté, & tout hors de moy, voyant qu’il avançoit tousjours vers elle) cette inconstrante personne l’attend : car si cela n’estoit pas, il ne se hasteroit point comme il fait ; & il s’aprocheroit avec moins d’empressement, si le cas fortuit avoit fait cette rencontre. Mais, ô Dieux, quel redoublement de douleur fut le mien ! lors que le connus distinctement, que celuy que je voyois, estoit non seulement un de mes Rivaux, mais le plus redoutable