Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/501

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vous raconte maintenant : ce fut à cét instant que l’amour & la jalousie se virent contraintes de ceder à une autre passion, qui fut la haine : ou pour mieux dire encore, la haine, l’amour, la jalousie, la colere, la fureur, & la rage, se meslerent toutes à la fois dans mon esprit : & voulant regner toutes ensemble dans mon ame ; elles y mirent un desordre si grand, que je n’eus plus de respect pour Amestris. Je commençay donc d’avancer afin de sortir du lieu où j’estois caché : pour luy aller faire mille reproches ; & peut-estre quelque chose de pire à Megabise : quand tout d’un coup, je vy paroistre le Roy, suivi de toute la Cour, qui contre sa coustume venoit se promener en ce lieu là. Les Gardes ne commencerent pas plustost de paroistre, qu’Amestris se separa de Megabise, qui de son costé s’en alla pleindre son infortune, en quelque lieu plus solitaire, que celuy là ne l’estoit alors. Mais ils ne vinrent ny l’un ny l’autre vers le lieu où j’estois : & je demeuray seul sans pouvoir ny me pleindre, ny me vanger. Je m’enfonçay donc dans l’espaisseur du Bois : mais tellement tourmenté, par toutes les passions qui me possedoient ; que je ne pouvois attacher mon esprit à nul objet. Je n’avois pas plustost commencé de songer à l’infidelité d’Amestris, que je pensois au bonheur de Megabise : je ne songeois pas plustost aussi, à me pleindre de ma Maistresse, que je faisois le dessein de me vanger de mon Rival : & mon ame estoit si cruellement agitée ; que je n’estois pas un moment d’accord avec moy mesme. Cependant comme le Roy estoit arrivé fort tard, sa promenade ne fut pas longue : & la nuit tombant tout d’un coup, je demeuray seul dans ce Jardin. Je me souviens que la Lune esclairoit ce soir là assez