Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/513

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tromper, que je ne voulois sçavoir le lieu où elle estoit, que pour ne la regarder pas : mais helas, que je me connoissois peu moy mesme, & que j’ignorois bien ce qui me devoit advenir ! Je ne fus pas plustost arrivé, que je fus à l’Apartement de mon Pere, qui me reçeut avec une joye incroyable : quoy qu’il eust quelque sentiment de douleur, de me trouver le visage aussi changé qu’il me le vit. Car Seigneur, il estoit en effet arrivé un changement si considerable en moy ; que je doutois quelquefois, si j’estois le mesme que j’avois esté. Mon Pere eut la bonté de me dire en suitte, qu’ayant eu à soliciter une affaire où il alloit de ma vie, il n’avoit pû songer à presser celle de mon mariage : parce que ç’eust esté trop irriter Megabise, que de s’opposer tout à la fois, à son amour & à sa vangeance. Seigneur, luy dis-je, tout ce que vous avez fait, à esté bien fait : & le Mariage est une chose que je crains presentement, bien plus que je ne le desire. Mon Pere voulut me faire expliquer cét enigme : mais je m’en excusay, & me retiray à mon ancien Apartement, avec un chagrin estrangge. Le lendemain au matin, mon Pere me mena chez le Roy, qui me reçeut assez bien : & qui acheva l’accommodement de la Famille de Megabise & de la nostre : car pour luy, il n’estoit pas encore revenu à Ecbatane. Au sortir du Palais je m’en retournay dans ma chambre, où je ne fus pas long temps seul : le bruit de mon retour n’ayant pas esté plustost respandu dans Ecbatane, que la meilleure partie de mes Amis me vint visiter. Et comme mon amour avoit esté sçeuë de tout le monde ; apres les premiers complimens, Artabane Frere d’Harpage, que le Roy avoit autrefois employé pour faire perir le jeune Cyrus, & qui estoit