Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/514

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fort de mes Amis ; me demanda si je n’avois point rencontré la belle Amestris par les chemins, en revenant à la Cour ? Je rougis au nom d’Amestris : & demanday à mon Amy, s’il estoit bien vray, qu’elle ne fust pas à Ecbatane ? Mais admirez Seigneur, tout ce que fait faire l’Amour ! je n’eus pas plustost esté assuré qu’elle n’y estoit plus effectivement ; que j’en eus de la joye, & de la douleur tout ensemble : & mon esprit fut si partagé en cette occasion, qu’il ne pût jamais se determiner. Je pense toutefois, que si j’eusse bien examiné le fonds de mon cœur, je l’eusse trouvé plus disposé à desirer qu’Amestris eust esté à Ecbatane, qu’à se resjoüir de ce qu’elle en estoit éloignée. Ce n’est pas que je ne creusse estre fortement resolu à ne luy donner plus jamais nulle marque d’amour, quand mesme j’en eusse deû mourir : mais c’est qu’enfin, pour ne déguiser pas les choses, je l’aimois encore plus que je ne le croyois moy mesme : & que c’est le propre de l’amour, de faire desirer la veuë de la personne aimée. Je me tins pourtant l’esprit si ferme, pendant cette conversation, que je n’en parlay jamais le premier : je me surpris bien plus de cent fois, dans un secret desir que quelqu’un m’en parlast mais je n’osay pourtant en parler. Et puis, comme je n’avois point eu d’autres personnes confidentes de ma passion, qu’Arbate qui n’estoit plus ; & que Menaste qui avoit suivy Amestris en son voyage, parce qu’elles s’aimoient cherement ; je ne pouvois pas me resoudre d’aller aprendre mes malheurs, à ceux qui ne les sçavoient point. Neantmoins il falut changer de resolution : & Artabane aporta un si grand soing à aquerir mon amitié ; & à s’informer du sujet de cette profonde melancolie, qui paroissoit & sur