Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/516

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vie luy parlent d’amour : que tous vos discours, & toutes vos actions l’assurent, que vous luy estes tousjours fidelle : & qu’il n’est pas jusques à vos yeux, où vostre passion ne soit vivement dépeinte. Car (poursuivit-il, sans me donner loisir de luy respondre) d’où vient ce prodigieux changement, qui paroist en vostre visage, en vostre esprit, & en vostre humeur ? Et que veulent dire autre chose, cette profonde melancolie qui vous possede sans sujet ; cette solitude que vous preferez à tous vos Amis ; ces soupirs continuels ; cette indifference pour tout ce qu’il y a de beau à la Cour ; sinon que vous aimez encore ? Je n’aime peut-estre plus Amestris, luy repliquay-je, mais je haï tout le reste du Monde à la reserve d’Artabane. Et pourquoy le haïssez vous ? me respondit-il ; que vous ont fait tant d’honnestes gens qui vous recherchent & qui vous estiment ? Que vous ont fait tant de belles & aimables personnes qui sont à Ecbatane ? & que vous a fait enfin toute la Nature, pour faire que vous la haïssiez ? Non non, adjousta-t’il, Aglatidas, ne vous y trompez point : vous aimez encore Amestris : & vous l’aimez autant, que vous haïssez tout le reste de la Terre. Si vous n’aviez point d’amour pour elle, vous n’auriez point de haine pour les autres : & vous aimeriez sans doute, ce que tous les honnestes gens ont accoustumé d’aimer. Si j’aimois Amestris, luy dis-je, je souhaiterois son retour, & je l’aprehende : Cette apprehension, me repliqua-t’il, n’est pas moins une marque d’amour, que le pourroient estre vos souhaits : car enfin Amestris ne peut vous estre redoutable que d’une façon : & vous ne la pouvez craindre sans l’aimer. De plus, adjousta-t’il, quelle cause pouvez vous trouver à vostre melancolie ?