Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/517

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Vous estes aimé de tout le monde ; vous avez un Pere qui vous accorde tout ce que vous desirez ; vous estes d’une condition, qui n’en voit guere d’autre au dessus d’elle ; Vous ne pouvez manquer d’estre extrémement riche ; vous avez de la jeunesse & de la santé ; vous avez de plus, me dit-il en me flattant, de l’adresse & de la bonne mine ; du courage & de la reputation ; qu’est-ce donc Aglatidas qui vous manque & qui cause vostre melancolie ? Le souvenir de mes malheurs, luy repliquay-je : le souvenir des malheurs, me respondit-il, donne de la joye, quand il est vray qu’ils sont effectivement passez : & vous feriez mieux de dire, que les vostres durent encore. Mais de grace, adjousta-t’il, que faudroit-il pour vous rendre heureux ? Il faudroit, luy dis-je, des choses impossibles : il faudroit qu’Amestris n’eust jamais esté infidelle. De sorte donc, me repliqua Artabane, que vostre bonheur est inseparablement attaché à Amestris ; & que sans Amestris vous ne pouvez estre heureux ? Vous estes trop pressant, luy dis-je, & je ne veux plus vous respondre. Dittes que vous ne le pouvez pas, me repartit-il, sans advoüer en mesme temps, que vous estes le plus amoureux des hommes. Mais mon cher Aglatidas, poursuivit Artabane, pourquoy cachez vous un mal si grand & si dangereux, & qui ne peut jamais estre guery qu’en le descouvrant ? Je le cache, luy dis-je en changeant de couleur, parce que je le crois incurable : & si je n’aimois infiniment Artabane, & qu’Artabane n’eust pas eu une opiniastreté invincible ; je ne luy eusse jamais advoüé comme je fay, qu’en despit de ma raison, & contre ma volonté, Amestris, l’infidelle Amestris, occupe encore toutes mes pensées, & possede