Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/528

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par ce suplice, du mauvais choix que nous avions fait : & n’oublions rien de tout ce qui peut satisfaire nostre ressentiment, ne pouvant plus satisfaire nostre amour.

Cependant Menaste qui estoit effectivement irritée, contre moy, ne doutant point que quelqu’un n’aprist ma nouvelle passion à Amestris, trouva plus à propos de luy en parler : & fut chez elle le soir mesme, dont je j’avois veuë l’apresdisnée. Elle ne fut pourtant pas la premiere, qui luy aprit cette nouvelle : & de tant de personnes qui l’avoient visitée, il s’en estoit trouvé quelqu’une, qui par malice ou par simplicité, luy avoit dit une chose, où tout le monde sçavoit bien qu’elle devoit prendre interest. Menaste la trouva donc assez triste : car Seigneur, pour vous bien faire connoistre mon infortune, je suis contraint de vous advoüer, qu’Amestris m’aimoit veritablement : & m’aimoit d’une affection si tendre, que je ne puis encore m’en souvenir, sans une extréme joye ; sans une excessive douleur ; & sans une estrangge confusion tout ensemble. Elle ne vit donc pas plustost Menaste, qu’elle luy fit connoistre par sa melancolie, qu’elle sçavoit ma nouvelle passion : neantmoins comme elle se voulut contraindre, elle fut quelque temps à luy parler de choses indifferentes. Menaste de son costé, ne sçachant par où commencer un discours si fascheux, luy respondoit à mots entrecoupez, & ne sçavoit pas trop bien ce qu’elle luy vouloit dire. Mais enfin l’adorable Amestris ne pouvant plus cacher son ressentiment, luy demanda si elle ne m’avoit point veû ? & si ma nouvelle amour estoit assez forte, pour m’avoir fait manquer à la civilité que je luy devois ? Je l’ay veû, luy respondit elle ; mais je l’ay veû si privé de raison, que je n’oserois plus j’advoüer