dirois que par caprice ou par raison, il auroit preferé la beauté d’Anatise à celle d’Amestris : mais Menaste, son changement pour moy à commencé pendant son exil : & dans un temps, où il recevoit plus de marques de mon affection, que je ne luy en avois jamais donné. Car enfin je luy escrivois, & luy escrivois d’une maniere assez obligeante, pour retenir tout autre cœur que le sien. Mais apres tout, luy dit Menaste, que pretendez vous faire ? M’affliger de mon malheur, reprit elle : m’en pleindre eternellement ; me repentir de ma foiblesse ; tascher d’oublier Aglatidas, sans pouvoir peut-estre en venir à bout ; & mener enfin la plus malheureuse vie, que personne ait jamais menée. Mais, répliqua Menaste, je ne voy point que vous songiez à deux choses assez importantes : l’une, si vous ne pouvez haïr Aglatidas, d’essayer de le ramener à la raison : & l’autre, si vous pouvez l’oublier, à le punir de son crime. Helas, repliqua Amestris, qu’il est difficile de haïr, ce que l’on avoit resolu d’aimer toute sa vie ! & qu’il est mal aisé de se resoudre à punir, ce que l’on aime encore malgré soy ! J’en sçay pourtant une voye infaillible, repartit Menaste ; mais admirez Seigneur, le bizarre destin des choses du monde : Menaste proposa à Amestris la mesme voye qu’Arbatane m’avoit proposée : c’est à dire de feindre de souffrir sans chagrin, quelqu’un de ceux qui pretendoient à son affection. Car, luy disoit cette fille, j’ay tousjours connu Aglatidas extrémement sensible à la gloire : de sorte que je ne doute point, que s’il voit effectivement devant ses yeux, ce qu’il n’a fait qu’inventer : & qu’il connoisse qu’en effet Amestris est capable de luy preferer un autre ; il n’arrive de deux choses l’une :
Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/533
Apparence