Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/536

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de la regarder ; qu’il s’en falut peu, que sans aller ny vers l’une, ny vers l’autre, je n’expirasse de douleur. Mais mon desespoir me faisant passer tout d’un coup, d’un extréme incertitude, à une obstination invincible ; je ne regarday plus Amestris ; & je fus me mettre à genoux aupres d’Anatise, à laquelle je parlay suivant ma coustume. Ce fut neantmoins avec un esprit si distrait ; que si cette fille n’eust elle mesme esté fort distraite, par le soing qu’elle avoit d’observer les actions d’Amestris, elle se seroit aisément aperçeuë de la cause de mes inquietudes. Mais elle avoit une joye si sensible, de se voir preferée à la plus belle Personne du monde, qu’elle ne prit point garde aux changemens de mon visage, ny à l’obscurite de mes paroles. Amestris de son costé, comme je l’ay sçeu depuis, voyant elle mesme ce qu’elle n’avoit fait qu’entendre dire, en fut extraordinairement surprise : jusques là cette adorable Personne, n’avoit eu que de la douleur de mon changement : mais voyant de ses propres yeux, Aglatidas aux pieds d’Anatise, la colere s’empara de son esprit : & un secret sentiment de gloire, luy inspira une si forte envie de se vanger du mépris que je faisois d’elle ; qu’elle ne pût s’empescher de le tesmoigner à Menaste. Mais Seigneur, admirez encore icy, la prodigieuse rencontre, que le hazard tout seul causa en cette journée ! Je vous ay dit, ce me semble, que Megabise devoit revenir dans peu de jours : & en effet apres avoir esté à la guerre de Lydie, il se resolut de revenir à Ecbatane : & de ne songer plus à me voir l’espée à la main, ny pour la mort de son Frere, qu’il sçavoit bien qui estoit coupable ; ny pour nos anciens differens. Le Roy le luy avoit envoyé deffendre absolument à Sardis, apres l’accommodement qu’il avoit