Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/553

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ordinaire : & prenant un petit sentier fort couvert, je fis tant qu’Artabane fut contraint de s’en retourner, bien affligé & bien en colere de ne m’avoir pû parler. Ne sçachant donc alors qu’elle resolution prendre, apres avoir formé & détruit cent desseins ; je m’en allay à un Temple qui n’estoit pas fort esloigné, dont je connoissois un Sacrificateur : chez lequel j’eus intention de demeurer caché durant quinze jours : m’imaginant que l’on ne garderoit pas eternellement Megabise : & qu’aussi tost qu’il seroit libre, luy donnant de mes nouvelles, je pourrois me satisfaire plus aisément. De vous dire, Seigneur, quelle fut la vie que je menay en ce lieu là, ce seroit une chose inutile : vous estant fort aisé d’imaginer, qu’elle fut tres inquiette & tres melancolique. Ce Temple est basty dans une vieille Forest, dont les Arbres sont si grands & si espais, que le Soleil n’en dissipe jamais les ombres : j’errois donc tout le jour dans les lieux les moins frequentez : & m’entretenois quelquesfois aussi avec les Mages qui y demeureroient : & principalement avec celuy chez lequel j’estois logé : à qui j’avois dit qu’une broüillerie que j’avois euë à la Cour, m’en avoit fait retirer pour quelque temps. Mais soit que je m’entretinsse avec quelqu’un, ou que je me promenasse seul ; Megabise & Amestris occupoient toutes mes pensées. Peut-estre, disoisje, qu’ils sont presentement ensemble : peut-estre qu’Amestris luy parle de moy avec mespris : peut estre qu’elle le prie de s’exposer pas à un nouveau combat : peut-estre qu’elle fait des vœux contre ma vie : & peut-estre enfin que Megabise l’espouse.

De vous dire, Seigneur, le trouble que cette derniere pensée excitoit en mon ame, c’est que je ne sçaurois