Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/565

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vers luy, j’avoüe que malgré moy je contredis mes propres sentimens : & qu’encore que je sois desesperé du malheur d’Amestris ; je ne voudrois pas qu’elle fust heureuse avec Megabise : & que j’aime mieux qu’elle soit infortunée avec Otane. J’ay beau apeller ma raison & ma generosité à mon secours, pour deffendre l’entrée de mon cœur, à cette criminelle joye ; je ne puis m’empescher d’en avoir, de ce que je sçay que celuy qui possede Amestris, n’en sera jamais aimé : & de ce que je sçay qu’elle se souviendra de moy avec douleur, & qu’elle me regrettera eternellement. Car apres tout, je veux qu’elle sçache mon innocence, comme je sçay la sienne ; & que je sois aussi justifié dans son esprit, qu’elle l’est maintenant dans le mien. Je n’ignore pas, disois-je, que ce sera augmenter son malheur : puis qu’il pourroit arriver que le despit luy osteroit une partie de l’affection qu’elle a pour moy : Mais adorable Amestris, poursuivois-je, cherchez un autre remede à vos douleurs ; & trouvez le plus tost dans la douceur qu’il y a de sçavoir que l’on est parfaitement aimé, quoy qu’inutilement aimé. Apres cela je fus quelque temps à me promener sans rien dire : puis reprenant tout d’un coup la parole, & respondant à ce que j’avois pensé ; Non Megabise, disois-je, je ne veux plus me battre contre vous : & quand vous m’auriez offensé, si vous aimez encore Amestris, vous estes plus cruellement puni, que la mort ne vous puniroit. Et puis à dire les choses comme elles sont, & sans cette passion qui m’a aveuglé ; je dois ce respect au sang de son Frere que j’ay respandu, de ne songer plus à respandre le sien : Mais pour Otane, disois-je, le moyen de souffrir qu’il vive ? & le moy en d’oser seulement desirer sa mort, sçachant