Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/566

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quelle est la vertu d’Amestris ? Quoy donc (disois-je à Artabane, avec une colere que je ne puis exprimer) il faudra voir toute nostre vie Amestris, l’incomparable Amestris, en la puissance d’un homme, à qui les Dieux ont refusé toutes choses, excepté la condition & les richesses ; & auquel ils n’ont donné de l’esprit, que pour le rendre plus haïssable, veû la maniere dont il s’en sert ! Quoy Artabane, ne me seroit il point permis, de remettre Amestris en liberté ? Ha non non, reprenois-je moy mesme, je n’oserois l’entreprendre ; je n’oserois le luy proposer ; je n’oserois mesme en concevoir la pensée, de peur qu’elle ne la devinast dans mes yeux. Que feray-je donc, disois-je à Artabane, & que pourray-je devenir ? Tant y a Seigneur, que je puis dire que je souffris tout ce que l’on peut souffrir sans mourir : la joye de sçavoir qu’Amestris estoit innocente, me conserva infailliblement la vie en cette occasion : n’estant pas possible que sans ce secours, j’eusse jamais pû apprendre qu’elle estoit mariée, sans expirer de douleur. Mais si je vescus, ce fut sans doute pour endurer davantage : estant certain que l’obscurité du Tombeau est preferable au trouble & au miserable estat ou j’estois. Il y avoit mesme des instans, où Otane ne me sembloit pas si haïssable, qu’il me l’avoit tousjours semblé : & où j’apprehendois qu’Amestris ne trouvast ses deffauts moins grands, par l’habitude qu’elle auroit à les voir tousjours. Je craignois mesme que les Tresors d’Otane ne touchassent enfin son cœur : mais cette crainte ne duroit pourtant gueres : & ma plus forte consolation estoit de penser, qu’Amestris ne pourroit jamais aimer celuy qui la possedoit.

Cependant le soir estant arrivé,