Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/78

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tournant les yeux vers le rivage qu’il avoit à sa gauche ; il vit qu’il estoit tout couvert de planches rompuës ; de cordages entremeslez ; & de corps privez de vie. O que cette funeste veuë donna de frayeur à Artamene ! il s’arreste ; il regarde ces débris ; il regarde ces morts ; il regarde Chrisante & Feraulas ; & n’ose plus s’avancer vers ces gens, qui n’estoient qu’à trente pas de luy ; dans la crainte effroyable qu’il a desja, d’y rencontrer le corps de sa chere Princesse. Feraulas le voyant en cét estat, luy dit, Hé quoy, Seigneur, pensez vous qu’il n’y ait que cette Galere, pour laquelle vous craignez, en toutes les Mers du Monde ? Et ne sçavez vous pas que les naufrages sont des choses fort ordinaires ? C’est pour cette raison que je crains, luy respondit le malheureux Artamene ; & si ces malheurs estoient plus rares ; je ne les craindrois pas tant. Cependant malgré son apprehension ; il s’aprocha de ces Mariniers qui estoient fort occupez à profiter des infortunes d’autruy ; & qui ramassoient tout ce qu’ils pouvoient de ce débris. Artamene leur demanda ce qu’ils sçavoient de cét accident : & l’un d’eux luy respondit, qu’il faloit que quelque Galere eust peri la derniere nuit ; à ce qu’ils en pouvoient juger par ce que la Mer poussoit au bord, & à ce qu’ils en avoient pû apprendre, d’un homme bien fait, & de bonne mine, que l’on avoit porté dans une Cabane de Pescheurs, qu’il luy montra à cent pas de là sur le rivage : & qui faisoit tout ce qu’il pouvoit pour refuser le secours que l’on taschoit de luy donner.

Artamene sans attendre davantage d’esclaircissement, s’y en alla ; & entrant dans cette Cabane, où tout le monde estoit occupé à secourir cet homme qui avoit pensé perir, & qui souhaitoit encore la mort ; il vit que c’estoit Mazare.