Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/79

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Il l’avoit veû si souvent dans Babilone, à la Cour de la Reine Nitocris, Mere du Roy d’Assirie, que d’abord il reconnût ce Ravisseur de Mandane. Il estoit couché sur un lit ; le visage plus moüillé de ses larmes que de l’eau de la Mer ; & plus changé par son desespoir que par son naufrage. Ce Prince affligé tenoit les yeux quelquesfois eslevez vers le Ciel ; & quelquesfois aussi il les abaissoit sur une Escharpe magnifique qu’il avoit entre les mains ; & qu’Artamene reconnut à l’instant pour estre à sa Princesse : parce qu’elle la luy avoit refusée autrefois. Cette veuë fit un effet si estrangge dans le cœur d’Artamene, qu’il en pensa expirer. Mais pendant que la douleur luy ostoit l’usage de la voix ; il entendit que Mazare, qui sembloit presques aller pousser le dernier soupir, faisant un effort pour parler, s’escria aussi haut que sa foiblesse le luy permit ; ô pitoyables restes de ma belle Princesse ! pourquoy ne l’ay-je pas sauvée, ou pourquoy du moins, n’ay-je pas peri avec elle ? Helas ! que me dites vous ? Que me monstrrez vous, funestes reliques de la malheureuse Princesse que j’ay perduë ? Et vous Dieux, qui sçaviez le dessein que j’avois ; & qui n’ignorez pas tout ce j’ay tasché de faire pour sa conservation, pourquoy ne m’avez vous pas secondé ? Comme il disoit cela, Artamene s’estant approché ; & sa douleur ; sa colere ; sa rage, son desespoir ; & son amour, ne luy laissant pas la liberté de determiner s’il devoit achever de faire mourir ce miserable, qui paroissoit à demy mort ; s’il devoit luy reprocher son crime ; ou s’informer du moins, comment ce malheur estoit arrivé ; il fut encore quelque temps en cette cruelle irresolution. Il vouloit interroger