Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/93

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Cabinet, que vous n’en auriez à la campagne. Ciaxare estranggement surpris, d’un discours si obscur pour luy, regardoit Artamene : & luy voyant sur le visage & dans les yeux, toutes les marques d’une tristesse excessive ; il n’osoit plus le presser de luy apprendre ce qu’il mouroit d’envie de sçavoir, de peur de trouver ce qu’il craignoit de rencontrer : & d’estre contraint en effet de donner des marques de foiblesse, devant tant d’illustres Personnes. Il cherchoit donc dans les yeux d’Artamene, & dans sa propre raison, à devenir ce qu’il ignoroit : & par son silence, & par celuy d’Artamene, il estoit aisé de juger, que l’un craignoit de dire ce qu’il sçavoit, & que l’autre apprehendoit d’aprendre ce qu’il ignoroit. Cependant ceux qui estoient venus avec Artamene s’estans meslez avec ceux qui avoient suivi Ciaxare ; leur racontoient ce qui leur estoit advenu ; & cette funeste nouvelle qu’ils leur aprenoient, faisoit eslever parmi eux un murmure plaintif d’exclamations & d’estonnement ; qui raisonnant aux oreilles de Ciaxare, luy disoit encore, qu’il y avoit quelque chose d’estrangge à sçavoir. Mais comme ils estoient alors assez prés de Sinope, toutes les Troupes qu’Artamene avoit amenées, suivant l’ordre qu’elles en avoient reçeu ; ayant paru sous les armes, & s’estans rangées en haye pour laisser passer le Roy ; il ne voulut pas devant tant de monde, satisfaire sa curiosité. Il marcha donc sans parler, jusques à tant qu’il fust arrivé au Chasteau : car pour son Armée, il avoit ordonné qu’elle camperoit dans une grande plaine, qui est entre un Vallon & la Ville : & qui estoit assez spacieuse pour l’y loger commodément, quoy qu’elle fust composée de plus de cent mille