Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, quatrième partie, 1654.djvu/17

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n’y en ayant plus depuis le lieu où ils eſtoient, juſques à la Mer, où ce Fleuve ſe jette. Ils ne pouvoient pas meſme paſſer dans des Bateaux, car il n’y en avoit point où ils eſtoient : & il n’y en avoit meſme gueres ſur toute cette Riviere, qui n’eſt pas navigable, à cauſe de ſon impetuoſité : & qui n’eſtant pas non plus poiſſonneuse, fait qu’il n’y a que fort peu de Barques de Peſcheurs. Ainſi ne sçachant que faire, la veuë de ce Chariot, qui s’éloignoit touſjours, mettoit l’ame de ces deux Princes à la gehenne. Le Pont eſtoit ſi abſolument rompu, qu’il n’y avoit pas moyen d’imaginer aucune voye de faire un faux Pont de planches, quand meſme ils en auroient eu : ainſi ſans sçavoir, ny pouvoir que faire, ils regardoient ce Chariot, qui peu à peu s’éloignoit d’eux : ſi bien que le Soleil s’eſtant, couché & ce Chariot eſtant entré dans un Bois de Cedres, qui eſt ſur une Montagne, au delà de la Prairie, ils le perdirent de veuë : & perdirent preſques la vie, en perdant l’eſperance de pouvoir delivrer Mandane. Car quand ils venoient à penſer, qu’ils eſtoient ſi prés de cettte Princeſſe, ſans pouvoir pourtant s’en aprocher davantage : & qu’au contraire elle s’éloignoit touſjours plus ; ils ne pouvoient ſupporter leur douleur, ſans en donner des marques bien viſibles. Mais quoy qu’ils ſouffrissent tous deux le meſme mal, ils n’avoient pourtant pas la conſolation qu’ont les mal-heureux de ſe pleindre enſemble : au contraire la conformité de leur affliction, en redoubloit encore la violence : & s’ils n’euſſent pas eu tous deux une generoſité qui n’eſtoit pas moins grande que leur paſſion, il leur euſt eſté abſolument impoſſible d’agir enſemble comme ils agiſſoient. Touteſfois