Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, quatrième partie, 1654.djvu/446

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des gens de Nations ſi eſloignées : nous concluſmes que l’eſperance qui aſſeurément eſt touſjours avecques l’amour, non ſeulement naiſt avec elle, & la nourrit : mais que meſme elle la precede quelqueſfois & la fait nature, eſtant meſme vray qu’il eſt aſſez difficile (à parler en general) de voir une belle & jeune perſonne, qui donne lieu de croire que ſa conqueſte n’eſt pas impoſſible, ſans s’y attacher durant quelque temps : quand ce ne ſeroit que par curioſité. Joint auſſi que l’on pouvoit preſques dire, qu’un homme euſt eſté deſhonnoré, s’il n’euſt pas eu quelque petite faveur d’Artelinde : & il l’euſt encore eſté davantage, s’il s’y fuſt attaché long-temps. Mais ſi nous nous eſtonnions de voir comment Artelinde en pouvoit tant enchainer ; nous eſtions encore eſpouventez comment Phocylide en pouvoit tant tromper comme il en tronpoit. Nous sçavions touteſfois qu’il y avoit trois ou quatre perſonnes dans Epheſe, qui croyoient toutes en eſtre paſſionnément aimées : & nous tombions d’accord apres cela, que nous avions beaucoup d’obligation aux Dieux, de nous avoir donné des ſentimens plus raiſonnables.

Cependant les frequentes viſites de Ligdamis à Cleonice, commencerent de faire quelque bruit, & de bleſſer l’eſprit d’Artelinde : qui ne pouvoit croire, ſuivant la couſtume des Dames galantes, qu’il pûſt y avoir de ſocieté entre un homme & une Femme ſans galanterie. Et comme elle avoit un deſpit eſtrange d’avoir fait tant de choſes inutilement, ſans pouvoir gagner le cœur de Ligdamis ; elle vint à les haïr tous deux. Phocylide en meſme temps deſesperé de n’avoir jamais pû perſuader Cleonice ; & venant à ſoupçonner que c’eſtoit peut/eſtre parce que Ligdamis n’eſtoit pas mal avec elle,