Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, quatrième partie, 1654.djvu/450

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qui n’attache ſon eſprit à aucun objet particulier, je ſuis la plus malheureuſe Fille de la Terre ; parce que je ſuis engagée dans un attachement le plus fort & le plus conſtant qui ſera jamais. Quoy, interrompit Cleonice, Artelinde aimeroit quelque choſe fortement & conſtamment ! ha ſi cela pouvoit eſtre, adjouſta-t’elle en riant, je penſe qu’encore que je condamne l’amour en toute autre, je luy pardonnerois preſques d’en avoir. Pardonnez-le moy donc, dit-elle, car il eſt vray que tout ce que vous blaſmez en ma conduite, vient de ce qu’il y a une perſonne au monde que j’aime mille fois plus que moy-meſme, & qui regle toute ma vie. Et cét Amant heureux, interrompit Cleonice, veut que vous en favoriſiez mille autres ? Il le veut ſans doute, repliqua-t’elle, afin de mieux cacher la veritable paſſion qu’il a dans le cœur & que j’ay dans l’ame : eſtant certain que ſi on sçavoit noſtre affection, noſtre hon-heur ſeroit détruit pour touſjours. Il eſt vray, adjouſta-t’elle, que noſtre artifice a ſi bien reüſſi, qu’il n’y a perſonne à Epheſe qui ſoupçonne rien de l’innocente intelligence que nous avons enſemble : c’eſt pourtant un homme de la premiere qualité, & un des plus eſtimez parmy les honneſtes gens. Je le trouve du moins un peu bizarre, dit Cleonice, de vouloir vous faire paſſer dans la croyance de tout le monde pour ce que vous n’eſtes pas : mais quand on ne peut eſtre heureux par nulle autre voye, repliqua-t’elle, il faut bien enfin s’y reſoudre. N’a-t’il jamais eſté jaloux, de ceux meſmes qu’il a voulu que vous favoriſassiez ? luy demanda Cleonice : tres ſouvent, repliqu’a-t’elle, & c’eſt ce qui eſt cauſe que quelquefois je rompts avec ceux qu’il ſemble que j’aime le mieux. Ainſi ma