Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, quatrième partie, 1654.djvu/451

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chere Cleonice, quand vous croyez que je ſuis ſi gaye & ſi contente, lors que mille adorateurs m’environnent, c’eſt lors que je ſuis le plus à pleindre. Car enfin je voy touſjours tout ce que je n’aime pas, & je ne voy pas trop ſouvent tout ce que j’aime. Jugez donc, ma chere Cleonice, ſi vous n’eſtes pas bien cruelle, de vouloir m’oſter voſtre amitié : & de vouloir m’accabler de toutes ſortes de malheurs. Je vous demande pardon, adjouſta-t’elle, de ne vous nommer pas aujourd’huy la Perſonne qui engage mon cœur : mais je n’en ay pas la force, & je voudrois, s’il eſtoit poſſible, que vous l’euſſiez deviné. Je ne veux pas ſeulement l’eſſayer, repliqua Cleonice, n’eſtant pas d’humeur à vouloir sçavoir les ſecrets d’autruy ; principalement quand ils font de cette nature. Cependant, Artelinde, croyez que je vous pleins plus que je ne faiſois, quoy que je ne vous blaſme gueres moins. Mais apres tout, quel que puiſſe eſtre voſtre Amant, je le condamne d’une eſtrange ſorte de ſacrifier voſtre gloire à ſon caprice. Si je vous l’avois nommé, reprit-elle, vous ceſſeriez peut eſtre de le condamner : car il n’y a pas au monde un homme plus ſage que luy. Voila, Madame, de quelle façon cette converſation ſe paſſa, qui embarraſſa extrémement Cleonice : parce qu’elle ne voyoit gueres d’apparence à ce que luy diſoit Artelinde : mais elle en voyoit encore moins que ce fuſt une fourbe : ainſi ne sçachant que penſer là deſſus, elle y penſoit pourtant avec aſſez d’attention. Neantmoins comme elle sçavoit bien que l’on n’eſt pas Maiſtre des ſecrets d’autruy, elle renferma celuy là dans ſon cœur : & n’en dit rien à Ligdamis ny à moy.

Quelques jours ſe paſſerent de cette ſorte ; en ſuite