Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, quatrième partie, 1654.djvu/47

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voyant cette Femme ſi affligée, & ſans avoir autre deſſein, à ce que l’on pouvoit juger par ſes ſignes, que de ſe remettre à la Providence des Dieux, n’ayant pour tous biens qu’un petit Tableau, dont la bordure eſtoit d’or, & d’un travail admirable : mais qui ne pouvoit pas, quand meſme on l’euſt venduë ce qu’elle valoit, ſuffire pour la ſubsistance de cét Enfant & d’elle durant un fort long temps ; il ſe reſolut d’avoit pitié de l’un & de l’autre, & de prendre ſoin de tous les deux. La Peinture qui eſtoit dans cette riche Bordure & qui y eſt encore, repreſente une jeune Perſonne, mais belle admirablement : habillée comme on peint quelqueſfois Venus couchée ſur un lict de Roſes ; avec cette difference pourtant, qu’il y a une Draperie merveilleuſe qui la couvre preſques toute : & qui ne luy laiſſe qu’une partie de la gorge deſcouverte. Aupres d’elle, l’Amour eſt repreſenté ſans bandeau, qui ſe jouë avec ſon Carquois & ſes fleches : & au bas de ce Tableau, il y a deux Vers Grecs qui diſent. L’Arc & les Traits du Fils, que tout craint & revere, Bleſſeront moins de cœurs que les yeux de la Mere.Cette Femme müette en monſtrant ce Tableau à mon Pere, luy fit comprendre par ſes ſignes, qu’il le faloit garder ſoigneusement : mais il n’eut pas pluſtost jetté les yeux deſſus, qu’il remarqua que le Cupidon qu’on y voyoit repreſenté, eſtoit le Portrait de ce jeune Enfant, que l’on avoit trouvé dans la Barque. Ainſi il ne douta point, apres avoir leû cette inſcription, que le viſage de cette Venus ne fuſt celuy de la Mere : & que ce Tableau n’euſt eſté fait de cette ſorte par galanterie.