Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, quatrième partie, 1654.djvu/48

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Si bien que trouvant quelque choſe de fort extraordinaire en cette avanture : & la compaſſion, comme je vous l’ay deſja dit, attendriſſant ſon cœur ; il fit entendre par des ſignes à cette Femme, que ſi elle vouloit demeurer dans ſa maiſon, avec l’Enfant qu’elle conduiſoit, il en prendroit ſoin, & en ſeroit bien aiſe. Comme elle ne pouvoit pas mieux faire, elle y conſentit, & comme mon Pere eſtoit veuf, & qu’il n’avoit que moy d’Enfans, il ne fut meſme pas marri de me donnée cette nouvelle compagnie, proportionnée à mon âge, car je n’avois que cinq ans en ce temps là. Il fit donc entrer cette Femme & cét Enfant dans ſa maiſon, & congedia ces Mariniers, qui eurent la Barque de la Müette pour leur peine. Cependant mon Pere durant quelques jours ne faiſoit autre choſe que de taſcher de s’éclaircir de ce que c’eſtoit que cette avanture ſans le pouvoir faire : car plus cette Femme luy faiſoit de ſignes moins il en comprenoit le ſens. Il ſerra ſoigneusement le petit Tableau & les Tablettes qu’elle luy confia : & il fit meſme mettre le Quarreau de Drap d’or, ſur lequel eſtoit cét Enfant dans la Barque, en lieu où il peuſt eſtre conſervé : il luy fit auſſi donner d’autres habillemens, afin de pouvoir garder les tiens : dans la penſée qu’il eut que toutes ces choſes pourroient peut eſtre quelque jour ſervir à ſa reconnoiſſance. Il obſerva aveque ſoing le begayement de cét Enfant, qui prononçoit deſja quelques paroles : mais il n’y pût rien diſcerner aſſez nettement, pour en pouvoir tirer la connoiſſance de ſa Patrie : car il y en avoit quelques unes Greques, & quelques autres qui ne l’eſtoient pas. A quelques jours delà, cette femme müette mourut : recommandant de telle ſorte cét Enfant à mon