Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/124

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tout d’un coup ; serois-je plus heureux, si elle avoit parlé moins rigoureusement qu’elle n’a fait ? du moins de la façon dont elle s’est expliquée, je n’ay pas sujet d’estre jaloux : & je n’ay point à craindre le plus grand suplice de l’amour. Mais helas, s’écrioit il, en me guerissant de la jalousie, elle m’a desesperé. Car enfin, si une declaration d’amour, qui luy seroit faite par le plus Grand Prince du monde ; & faite encore apres dix ans de services, de respects, & de soumissions, passe pour un crime effroyable dans son esprit ; que puis-je esperer, moy qui n’ay point encore de Couronne à luy offrir ; moy qui peut-estre ne feray pas trop bien reçeu du Roy mon Pere, quand je retourneray en Perse ; & moy enfin qui suis ce que je n’oserois luy dire ; & ce que je ne puis luy aprendre, sans m’exposer à estre haï ? O Dieux, adjoustoit il, à quoy me servira d’avoir destruit une puissante conjuration, & de voir mon Rival esloigné, si le cœur de Mandane est inflexible, & si rien ne le peut toucher ?

Comme il s’entretenoit de cette sorte, Chrisante & moy arrivasmes, & luy fismes dire que nous estions revenus : à l’instant mesme il commanda non seulement que l’on nous fist entrer : mais il vint au devant de nous, avec une joye que je ne vous sçaurois dépeindre. Pour nous Seigneur, nous en eusmes une si sensible, que nous perdismes une partie du respect que nous luy devions : & en mon particulier, il me fut impossible demeurer dans les termes de ma condition. Apres les premieres carresses ; & apres que Chrisante estant plus fatigué que moy, de la diligence que nous avions faite, se fut allé reposer ; mon Maistre m’embrassant encore, avec une tendresse infiniment obligeante ; & bien Feraulas, me dit il, qu’est devenuë