Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/171

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tant que je seray vivant, j’auray pour vous, Madame, une passion tres respectueuse & tres violente. Voila Madame, dit ce Prince en se levant, ce que j’avois envie de vous dire une fois en ma vie, & ce qui me fera mourir moins malheureux, maintenant que je vous l’ay dit : comme mon amour a esté sçeue de toute l’Asie, bien que je ne vous en aye parlé que des yeux ; je ne crains pas de vous offenser, en vous en parlant avec tant de hardiesse, & en une si grande compagnie. Et puis comme je sçay que mon Protecteur, dit il en regardant Artamene, a quelque credit aupres de vous, je veux esperer qu’à sa consideration & à son exemple, vous ne voudrez pas insulter sur un malheureux : ny luy dire des choses fascheuses, la derniere fois qu’il aura peut-estre l’honneur de vous parler. Artamene escouta tout ce discours avec une inquietude qui n’est pas imaginable : il regardoit la Princesse ; il regardoit son Rival ; & quoy qu’il ne peust bien connoistre les sentimens de Mandane, à cause qu’elle avoit les yeux baissez, neantmoins il se les imaginoit quelquefois trop favorables pour le Roy de Pont : & il estoit presque tout prest de se mesler dans la conversation, quoy que la qualité sous laquelle il paroisoit, ne luy permist pas de le faire. Il estoit pourtant bien aise d’aprendre de la bouche de son Rival, qu’il n’avoit jamais parlé d’amour à Mandane : mais il avoit quelque confusion, d’entendre les louanges que ce Prince luy donnoit, sçachant combien leur amour rendoit leur amitié impossible. Enfin apres que le Roy de Pont eut cessé de parler, la Princesse, qui s’estoit levée en mesme temps que luy, relevant les yeux & rougissant un peu, si je ne sçavois, luy dit elle, que c’est presque la coustume de