Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/212

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donné la beauté aux Femmes, pour commencer d’aimer les premieres : au contraire, ils ont voulu que ce rayon de Divinité, qui fait en un moment tout ce qu’il veut faire ; & qui aussi bien que le Soleil, luit & eschausse en un mesme instant ; leur fist des adorateurs, sans leur propre consentement. Ils n’ont pas, dis-je, donné ce rare privilege à mon Sexe, pour faire qu’il soit permis d’y renoncer : & puis qui sçait si le cœur d’Artamene n’est pas desja engagé ? Et qui sçait encore si les Massagettes, que l’on confond si souvent avec les Scithes, n’ont point son aversion ? Je voy bien, adjoustoit elle, qu’il est civil & complaisant : mais apres tout il est Estranger ; il ne nous aime point ; & nous ne le devons point aimer. Gelonide l’entendant parler ainsi, la voulut confirmer en cette resolution : mais Thomiris qui craignoit d’estre guerie d’un mal, qui luy donnoit presque autant de plaisir que de douleur, l’arresta : Non non ma Mere, luy dit elle (car elle l’apelloit souvent de cette sorte en particulier) ne parlez point encore, & ne m’obligez point à vous resister : je ne suis pas bien d’accord avec moy mesme : & quoy que je vienne de dire que je ne dois pas aimer Artamene, ce n’est pas à dire que je ne l’aime point. Il est des fautes excusables, & des erreurs innocentes : l’amour passe bien parmy nous, pour une passion dangereuse : mais non pas pour une passion criminelle. Ainsi quand le dis que je ne dois point aimer Artamene, c’est pour mon repos que je le dis, & non pas pour ma gloire : car je ne doute nullement, que si j’avois pû obliger Artamene à m’aimer & à éspouser, je n’en fusse louée de tous les Massagettes. Les veritables Scithes qui haïssent tous les Estrangers, m’en blasmeroient peut-estre : mais pour