Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/213

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

les Peuples sur lesquels mon Fils va regner, & pour les Issedones dont le Royaume est à moy, ils m’en estimeroient davantage. La valeur vaut plus parmy nous qu’une Couronne : & ayant choisi le plus vaillant homme du monde, j’en meriterois plus d’honneur, que si j’avois espousé le plus Grand Roy de la Terre. Spargapise mesme m’en auroit de l’obligation : & si ce Heros pouvoit le conduire à sa premiere guerre, je ne mettrois trois par le bonheur de ses Armes en doute. Ainsi Gelonide, je ne veux rien d’injuste, ny rien de criminel, quand je veux aimer Artamene : Et puis que mes Peuples m’ont desja tant solicitée de fois, de choisir pour Mary ou le Prince des Tauroscithes, ou celuy des Sauromates, je dois facilement penser, qu’Artamene n’auroit pas leur aversion, luy qu’ils regardent avec tant d’estime. Mais Gelonide, l’importance de la chose, c’est qu’Artamene ne m’aime point ; qu’il ne sçait point que je l’aime ; & que peut-estre il aime ailleurs. Pour le premier, disoit elle encore, il ne fait pas un grand tort au peu de beauté dont l’on m’a flattée quelquefois ; car enfin quand il seroit vray que je ne luy déplairois pas ; comme sans doute il ne croiroit point que je deusse recevoir son affection, il combattroit ce foible sentiment, & le vaincroit sans beaucoup de peine. Mais helas, si l’ignorance où il est, de ce que je sents pour luy dans mon cœur, m’empesche de faire un grand progrés dans le sien, n’est il pas encore vray, que si je le luy faisois sçavoir, il passeroit peut-estre d’une legere disposition à m’aimer, à une forte disposition à me haïr, & à me mespriser ? il croiroit peut-estre qu’une passion brutale, seroit Maistresse de mes sens : & Thomiris qui prefere sans doute son courage, son esprit, & sa vertu,