Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/214

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

aux charmes de sa personne ; seroit soubçonnée d’une honteuse foiblesse. Helas ! disoit elle, en quel estat suis-je reduite ? si Artamene ne sçait point que je le puis aimer, ou pour mieux dire que je l’aime, il ne m’aimera jamais : & s’il le sçait il ne m’estimera de sa vie. Et puis, s’il est vray que son cœur fuit desja engagé, que veux-je ? & que puis je vouloir ? Non-non, reprenoit elle tout d’un coup, il faut se guerir du mal qui nous tourmente, quelque fâcheux qu’en soit le remede : il faut renvoyer promptement ce dangereux Ambassadeur, que nous voudrions pourtant qui ne partist jamais d’icy : il le faut, je le dois, & je le veux, mais je ne sçay si je le puis. Enfin, Seigneur, apres une agitation fort violente & fort contestée, elle se retira, sans avoir rien resolu : & admirez de grace le caprice de l’Amour & de la Fortune, quand ils se joignent ensemble, pour persecuter une personne.

Mon Maistre à qui le souvenir de Mandane donnoit de cruelles inquietudes ; & à qui l’impatience de son retour n’accordoit pas un moment de repos ; se mit à presser Terez de parler à la Reine : & afin que cette Princesse respondist favorablement, il la vit encore plus qu’à l’ordinaire, & luy parla beaucoup plus long temps. Mais comme il ne pouvoit pas si absolument se contraindre, qu’il n’y eust des momens où son chagrin estoit plus fort que luy ; il luy arrivoit assez souvent de soupirer en parlant à Thomiris ; & de faire paroistre quelque legere inquietude en son esprit. Il luy estoit mesme advenu plus d’une fois, d’examiner toute la beauté de Thomiris, en songeant à celle de Mandane ; & d’attacher fortement ses regards, sur son visage & dans ses yeux. Princesse est belle (disoit il quelquefois en luy mesme en la regardant)