Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/223

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Qui vit jamais, disoit il, une advanture semblable à la mienne ? lors que j’ay commencé d’aimer l’illustre Mandane, n’estoit il pas à croire que cette humeur douce & pitoyable, pourroit se laisser toucher à la compassion, & estre facilement sensible à la tendresse & à l’amitié ? Cependant combien de choses ay-je faites ; combien de services ay-je rendus ; combien de peines ay-je endurées ; combien de soupirs inutiles ay-je poussez ; combien de larmes ay-je respanduës, sans pouvoir attendrir son ame ? L’on peut presque dire que si je ne fusse mort ; ou du moins que si elle n’eust creû que je l’estois ; Mandane ; l’illustre Mandane, ne m’auroit jamais accordé le moindre tesmoignage d’affection. Encore malgré tout cela, estoit elle resolüe de me bannir, & de me bannir pour tousjours, lors que je suis venu icy. Mais helas, le malheur qui m’a persecuté en Capadoce, ne m’a pas suivy chez les Massagettes sous la mesme forme ! puis qu’il y fait au contraire, qu’une Reine qui paroist avoir de la fierté & de l’orgueil, aime celuy qui ne l’aime point ; offre un cœur qu’on ne luy demande pas ; & veut accorder de son propre mouvement, ce qu’elle pourroit refuser sans injustice, quand mesme on le luy demanderoit. Non non, nous disoit il en nous regardant, cette fâcheuse avanture n’est ny un effet de mon merite, ny un effet de la foiblesse de Thomiris : ç’en est un de mon malheur & de mon destin : qui veut mesme tascher de m’affliger autant par les biens qu’il faut que je refuse, que par ceux que l’on ne m’a pas accordez. Ne pensez pas toutesfois, s’escrioit il, divine Mandane, que la douleur que le sens, toit un effet de la peine que j’ay à n’accepter pas l’affection d’une