Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/255

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delà des Corps de gardes avancez, sans estre reconnus de personne. Mais Seigneur, j’oubliois de vous dire avec quelle peine mon Maistre se resolut d’abandonner ses gens : & si Gelonide qui sçavoit nostre départ ne luy eust assuré qu’elle estoit assez puissante sur l’esprit de la Reine, pour empescher qu’on ne les mal-traitast ; je pense qu’il ne se seroit point resolu à partir : Mais cette vertueuse femme luy promit si absolument de les proteger, qu’enfin il creut son conseil. Artamene ne mena donc que Chrisante & moy, & deux autres des siens, pour le servir : laissant une lettre pour Thomiris, où il taschoit de pretexter son départ & de l’excuser. Cependant nous marchasmes si heureusement, que nous ne fusmes point trouvez par ceux qui sans doute nous chercherent : car Indathirse nous fit prendre un chemin où l’on ne soubçonna pas que nous fussions. Mon Maistre fit encore tout ce qu’il pût pour empescher ce Prince de se destourner comme il faisoit pour estre son Guide ; mais il ne le voulut jamais faire. Or Seigneur comme Indathirse s’estoit bien imaginé, qu’aussi tost que l’on s’aperceuroit de la fuite de mon Maistre, la Reine envoyeroit à cous les passages de l’Araxe : il prit un chemin qui remontoit vers sa source : & fut à un endroit où ce Fleuve se separe en trois, & où il n’est pas impossible de le passer à gué. Ce fut donc jusques au bord de l’Araxe, qu’Indathirse conduisit Artamene, pour lequel il avoit conçeu beaucoup d’amitié, quoy qu’il luy eust causé beaucoup de douleur : Mon Maistre luy demanda lors pardon d’avoir esté en quelque sorte le sujet de ses desplaisirs : & s’embrassant tous deux avec une égale tendresse, ils se separerent, avec une promesse reciproque,