Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/362

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Vous avez sçeu comment je ſuivis ma chere Maiſtresse, malgré ceux qui l’enleverent : car pour Arianite, Philidaſpe n’avoit garde de la laiſſer. je ne m’amuſeray point à vous dire, comment nous quitaſmes le Bateau dans lequel on nous avoit miſes : ny comment nous trouvaſmes des chevaux à l’autre coſté du fleuve : ny quelle fut noſtre route ; ny quelle eſtoit noſtre eſcorte : mais je vous diray ſeulement, que juſques à la pointe du jour que nous campaſmes dans un Bois, ſous un Pavillon que l’on tendoit pour cela, la Princeſſe ny moy n’avions pû prononcer une ſeule parole : ny eſtre capables d’entendre rien de tout ce que Philidaſpe nous diſoit, tant l’affliction & l’eſtonnement s’eſtoient emparez de ſon ame & de la mienne. Et je penſe que depuis que la Princeſſe dans les premiers tranſports de ſa douleur, eut crié à Philidaſpe, Que ſi Artamene euſt eſté à Themiſcire, il n’euſt pas entrepris ce qu’il entreprenoit ; elle ne parla plus du tout. Mais apres que nous fuſmes ſous ce Pavillon, & que la Princeſſe à demy morte ſe fut aſſise ſur des quarreaux que l’on avoit mis ſur un grand Tapis de pied qui couvroit tout le parterre de cette Tente ; & que je me fus rangée aupres d’elle, auſſi bien qu’Arianite, qui contrefaiſoit aimirablement bien l’affligée, Philidaſpe apres avoir poſé toutes les Sentinelles neceſſsaires pour ſa ſeureté, vint ſe jetter à ſes pieds ; & la regardant avec autant de ſoubmission que s’il n’euſt pas eu l’audace de l’enlever ; le sçay bien, Madame, luy dit il, que non ſeulement Philidaſpe eſt un temeraire : mais que meſme le Prince d’Aſſirie en vous offrant une des plus illuſtres Couronnes du monde, eſt un audacieux, qui merite chaſtiment. Ouy divine Princeſſe, je mets voſtre vertu tellement au deſſus de voſtre