Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/373

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

garde de vous nuire ny de vous ſervir, car je n’oſerois jamais parler de vous à la Princeſſe. Mais ſage Chriſante, j’avois beau dire cela au Prince d’Aſſirie, je penſe qu’il ne le croyoit pas : & il s’imaginoit ſans doute, que je rediſois tout ce qu’il me diſoit à Mandane. Il eſtoit pourtant bien abuſé : car tant qu’Arianite eſtoit avec nous, nous ne parlions que de noſtre douleur en general : & quand nous eſtions ſeules, Artamene eſtoit l’unique ſujet de noſtre entretien. Helas ! (diſoit quelquefois Mandane, lors que pour avoir la liberté de parler nous demandions à nous aller promener ſur les rives du Tigre) quel ſera le deſespoir du malheureux Artamene, lors qu’arrivant à Themiſcire, il ne m’y trouvera plus : & qu’il sçaura que Philidaſpe, ce meſme Philidaſpe qu’il a tant haï, m’aura enlevée ! Mais Dieux ! ne ſoubçonnera t’il point ma vertu ? & pourra t’il croire que l’on ait oſé executer un ſemblable deſſein ſans mon contentement ? Mais auſſi pourroit il penſer, que Mandane en peuſt eſtre capable ? Ha ! non non, pourſuivoit elle, il me croira innocente, & il s’eſtimera malheureux : & Artamene, l’illuſtre Artamene, ne croira jamais qu’une perſonne qui luy a eſté ſi ſevere, ait pû eſtre ſi favorable à ſon Ennemy. C’eſtoit de cette ſorte que nous nous entretenions, quand nous eſtions en liberté, mais cela nous arrivoit rarement : car outre qu’Arianite s’attachoit fort aſſidûment aupres de la Princeſſe ; il y avoit encore grand nombre de femmes que Philidaſpe luy avoit données pour la ſervir, qui ne la quittoient preſque point. Et certes j’admiray en cette occaſion, ce que peut la vertu malheureuſe, quand elle eſt extraordinaire : eſtant certain qu’en quinze jours, la Princeſſe Mandane fut adorée de toutes