Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/400

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Euphrate : & qui laiſſe la veuë libre, juſques à plus de cent cinquante ſtades de Babilone. Vous sçavez combien cette veuë eſt belle & diverſifiée ; ſoit par le cours du fleuve qui ſerpente en ce lieu-là, ſoit par cent agreables Maiſons dont cette Plaine eſt ſemée : & qui ſont toutes environnées de Palmiers. C’eſtoit donc vers ce coſté là, que la Chambre de la Princeſſe regardoit : & de ce coſté là encore qu’il y a un Balcon qui ſe jette en dehors, ſur lequel elle eſtoit aſſez accouſtumée à reſver, lors que le temps eſtoit aſſez beau pour cela. Je me ſouviens qu’un ſoir elle y fut extraordinairement tard : & comme le Roy ſon Pere & Artamene avoient beaucoup de part à toutes ſes reſveries ; Imaginez vous, me diſoit elle, Marteſie, quelle ſeroit ma joye & ma douleur tout enſemble, ſi un matin en faiſant ouvrir ces feneſtres, je voyois paroiſtre l’Armée de Medie & de Capadoce : En vérité, me dit elle, je croy que j’en expirerois : & que le plaiſir de voir du ſecours, & la crainte qu’il ne fuſt inutile pour moy, & funeſte à ceux qui me le voudroient donner, troubleroit ſi fort mon ame, que je n’aurois ny aſſez de force, ny aſſez de conſtance, pour me reſoudre à en attendre l’evenement. Mais helas ! Marteſie, je ne ſuis pas en eſtat d’avoir cette joye, ny cette douleur : la ſolitude & le ſilence qui regnent dans toute cette vaſte Plaine, que nous decouvrons confuſémcnt, à travers l’obſcurité de la nuit, me diſent aſſez que mes Deffenſeurs n’y ſont pas : & nous n’y voyons enfin, à la ſombre clarté des Eſtoiles & de la Lune, que ce grand Fleuve & des Arbres.

Il y avoit bien alors deux jours que nous n’avions point veû le Prince Mazare : de ſorte que Mandane s’ennuyant de ne voir point ſon Protecteur (car elle le nommoit ſouvent ainſi)