Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/407

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forte, pour me faire manquer à mon devoir : & qu’entre un Pere & un Amant, ma volonté ne ſe porte jamais à rien d’injuſte, & ne balance pas meſme un inſtant ſur la reſolution qu’elle doit prendre. Enfin Madame, dit il prenant un ton de voix un peu aigre, il faut donc aller combattre, & vous l’ordonnez ainſi : La Princeſſe voyant qu’effectivement il ſe preparoit à s’en aller, en fut fort eſmeüe : & tout d’un coup cette fermeté qu’elle avoit euë en luy parlant l’abandonna, & les larmes luy vinrent aux yeux. Elle ſe jetta donc à ſes pieds, & le retenant, eh Seigneur, luy dit elle, qu’allez vous faire ? Combatre & vaincre ſi je le puis Madame, luy dit il en la relevant avec precipitation : Mais quand vous aurez vaincu le Roy mon Pere, repliqua la Princeſſe, vous n’aurez pas vaincu le cœur de Mandane. Au contraire je vous declare dés icy, en preſence des Dieux qui m’eſcoutent, que ſi pendant cette guerre, le Roy des Medes ou l’illuſtre Artamene meurent, vous n’avez qu’à vous preparer à la mort de Mandane. Combatez Seigneur, tant qu’il vous plaira, vous ne joüirez point du fruit de voſtre victoire : & puis que le prix du combat eſt entre mes mains, vous devez eſtre aſſuré de ne l’obtenir jamais. Vous pourrez peut-eſtre vaincre le Roy mon Pere ; vous pourrez peut-eſtre faire tuer ce meſme Artamene, qui vous a donné une fois la vie ; mais vous ne sçauriez empeſcher Mandane de mourir. Ainſi Seigneur, ſi vous la reduiſez au deſespoir, elle vous y reduira auſſi bien qu’elle. Encore une fois penſez à vous : car enfin ſi vous eſtes vaincu, vous le ſerez avec honte, veû l’injuſtice de voſtre action : & ſi vous eſtes vainqueur, vous n’aurez pour recompenſe de tous vos travaux, que le Cercueil de Mandane.