Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/42

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pas plus que tout le reste de la Terre. Et puis, Madame, que manque t’il à l’illustre Artamene ? une Couronne (luy respondit la Princesse en rougissant) & cela suffit Martesie, pour faire que je craigne la passion d’un homme qui n’est pas Roy ; pour faire que toutes ses actions me soient suspectes à l’advenir ; & pour faire que je me la fois à moy mesme. Car enfin, dit elle, j’ay un ennemy qui a une intelligence secrette dans mon cœur : & que j’estime assez, pour aprehender de l’aimer, s’il n’y avoit pas un obstacle invincible, qui sans doute me deffendra, de tout ce que les grandes qualitez d’Artamene pourroient entreprendre contre moy : & qui fera que malgré son amour, son merite, & ma reconnoissance ; je ne laisseray pas de conserver ma liberté toute entiere. Voila, Seigneur, où en estoient les choses en ce temps-là : Artamene aimoit passionnément sans le pouvoir dire : Philidaspe n’estoit pas moins amoureux, ny moins secret, estant obligé par diverses raisons, de desguiser ses sentimens : Ciaxare les aimoit tous deux, mais incomparablement plus, Artamene que Philidaspe : & Mandane quoy qu’elle ne le pensast pas, aimoit sans doute desja un peu mon Maistre : & estimoit assez Philidaspe, quoy qu’il y eust beaucoup de choses dans son humeur qui choquassent la sienne.

En ce temps-là le Fils du Roy d’Armenie, appelle Tigrane, vint à la Cour de Capadoce : & fit grande amitié avec Artamene. Cependant comme le commencement du Printemps approchoit, il vint un advis certain, que les Rois Alliez avoient défia mis leurs Armées en campagne : cette nouvelle fit haster toutes les levées, & donner tous les ordres necessaires, pour faire qu’en fort peu de temps